Précarité et dégradation des conditions de travail : Arte dénonce la face cachée du travail à la tâche
Le 27 avril dernier, Arte proposait une soirée spéciale, dans le but de dénoncer des conditions de travail en forte dégradation depuis plusieurs années, et l’apparition d’un nouveau terme lourd de sens : le précariat. Entre nouveaux métiers, temps de travail extensibles, missions à la tâche ou encore cumul des activités, les conditions de travail d’aujourd’hui fragilisent certains salariés tout en excluant toute notion de droit du travail. Happy to meet you décrypte pour vous deux documentaires on ne peut plus éclairants sur le mode de fonctionnement de ces nouveaux travailleurs “à la tâche”, et la face cachée de la “gig economy”.
La “gig economy”, entre business et dépendance
Dans son documentaire “Travail à la demande”, la réalisatrice Shannon Walsh s’intéresse à la gig economy, et la place qu’elle occupe désormais dans le monde du travail. Ce terme vous est peut-être inconnu, et pourtant, la gig economy représente aujourd’hui une grande partie de notre quotidien. Également appelée « l’économie des petits boulots », il s’agit d’un système basé sur le travail à la tâche, sur des emplois flexibles, temporaires ou indépendants. Concomitante avec l’ubérisation, la gig economy implique souvent la connexion à des plateformes de services en ligne de toutes sortes. Entre la livraison de repas à domicile, la participation rémunérée à des sondages, ou encore les services de transport avec chauffeur, ce système génère aujourd’hui un chiffre d’affaires mondial de près 5 000 milliards de dollars, en constante augmentation.
Derrière cette économie, on trouve un nombre d’utilisateurs toujours plus grand, et la démocratisation de l’instantanéité dans les modes de consommation. En effet, commander un VTC, recevoir ses plats préférés à domicile, ou encore faire ses courses en ligne, font désormais partie du quotidien de nombreuses personnes, du fait du confort que ces services procurent à l’utilisateur. Or derrière ces nouveaux modes de consommation, se cachent en réalité des millions de petites mains, et quelques très grosses multinationales.
Les travailleurs à la tâche, quand statut d’indépendant et situation précaire font la paire
De la France à la Chine, en passant par les Etats-Unis et le Nigeria, “Travail à la demande” met en lumière ces nouveaux travailleurs, surfant sur la vague de l’ubérisation et la numérisation des services, en constante augmentation depuis la dernière décennie.
Si les horaires flexibles, l’absence de hiérarchie directe, et l’indépendance que génère le statut d’indépendant peuvent paraître alléchants, Shanon Walsh nous montre pourtant, au travers de plusieurs portraits, la face cachée de l’économie numérique mondialisée.
Afin d’illustrer la précarité engendrée par le travail à la tâche, Shanon Walsh nous conduit à San Francisco, où Al Aloudi et Annette, deux chauffeurs pour une grande compagnie de VTC, luttent pour se faire reconnaître comme salariés par la plateforme. En effet, leur statut d’auto-entrepreneur, s’il leur assure une certaine liberté, présente néanmoins de nombreux désavantages, qui ont pris une ampleur considérable depuis les bouleversements engendrés par la crise sanitaire. Ainsi, ces deux chauffeurs ont vu leurs revenus fondre, avant de disparaître peu à peu, pour enfin tomber dans une situation on ne peut plus précaire. En effet, leur statut d’indépendant ne leur permet pas de prétendre à un salaire minimum, et encore moins à un quelconque chômage : les recours pour survivre sont donc peu nombreux, face à un droit du travail qui ne s’applique pas à ces travailleurs d’un genre nouveau.
À Paris, Leila et ses pairs, livreurs cyclistes de repas, s’engagent dans une bataille similaire contre une plateforme de livraison très connue, suite à l’accident grave dont a été victime l’un des leurs sur son temps de travail. Face à une multinationale, jouant sur les flous juridiques du statut de ces indépendants à vélo, le combat dépeint par “Travail à la demande” semble perdu d’avance.
En Floride, nous découvrons ensuite le portrait de Jason, sans diplôme, qui travaille depuis chez lui. Devant son ordinateur, il répond à des sondages toute la journée, pour une rémunération de 10 centimes par tâche environ. Parfois rémunéré en bon d’achat Amazon, cette omniprésence derrière son écran lui rapporte en moyenne 10 à 20$ par jour.
Ces portraits éloquents, et la mise en situation de ces nouveaux modes de travail révèlent le coût humain de l’expansion dérégulée de la gig economy et de la précarité qu’elle engendre.
Le précariat, un nouveau terme pour de nouvelles conditions de travail
Le précariat désigne est une nouvelle classe sociale, constituée par les travailleurs précaires. C’est un néologisme de la sociologie, formé à partir des mots “précarité” et “prolétariat”. Le précariat regroupe donc tous ces travailleurs qui ont un emploi précaire, ne leur permettant que très rarement une indépendance financière et sociale.
Dans son documentaire ironiquement intitulé “Vive le travail”, Marianne Lère pointe du doigt l’émergence de cette nouvelle classe, et la désintégration sociale engendrée par la mutation du monde du travail. En étudiant le mode de fonctionnement des travailleurs précaires d’aujourd’hui, le documentaire souhaite répondre à une question : est-il possible de trouver satisfaction et bonheur au travail dans de telles conditions ?
Lorsque les conditions de travail se dégradent au détriment des plus fragiles
“Vive le travail” pose un état des lieux sur les conditions de travail d’aujourd’hui, à travers le parcours de 8 européens. Entre sous-traitance, CDD, et statut d’indépendant à double tranchant, Marianne Lère partage leurs réflexions, leurs aspirations, et esquisse des pistes pour l’avenir.
Parmi les portraits présentés, on retrouve notamment celui de Raphaël, formé comme technicien audiovisuel, mais qui anime aujourd’hui en mission ponctuelle les quais du métro parisien pour une entreprise de sous-traitance. À Lyon, Vincent, journaliste de métier, jongle entre un emploi de surveillant en lycée et de rédacteur web, après avoir été licencié par le journal qui l’employait.
Entre galères du quotidien, solutions financières limitées, et la frustration de ne pas exercer le métier pour lequel ils ont été formés, ces deux protagonistes nous expliquent leur quotidien, et comment ils ont appris à être heureux dans leurs emplois, face à un marché du travail et une précarité qui ne leur a pas laissé beaucoup de choix.
Marianne Lère ne s’arrête pas là, en dépassant les frontières de l’Europe, avec la présentation de Franck, travailleur social berlinois, dont le rôle est de venir en aide à des chômeurs démunis, face à une bureaucratie allemande opaque. Sur fond d’optimiste, on trouve également de portrait de Henry, ancien homme de ménage rémunéré à la tâche, présidant aujourd’hui le syndicat IWGB (Travailleurs indépendants de Grande-Bretagne), qui rallie chaque jour de plus en plus de personnes en situation précaire, oubliées par la démocratisation de la gig economy.
Commentée par des sociologues allemands, anglais et français, cette série de portraits illustre les multiples manières dont les conditions du travail se sont continûment dégradées au détriment des plus fragiles, avant d’esquisser des pistes pour un hypothétique « monde d’après », où la solidarité pourrait prendre le pas sur la rentabilité dans l’organisation du marché du travail.
Retrouvez ces deux documentaires Arte sur la face cachée du travail à la tâche
Ces pistes sur la dégradation des conditions de travail, et l’émergence de la gig economy vous ont intéressées ?
Happy to meet you vous conseille ces deux documentaires, à retrouver en replay juste ici :
Travail à la demande, Shannon Walsh.
Vive le travail ! Marianne Lère.