Intelligence Artificielle et Ressources Humaines : Paroles d’experts

08/04/2019 |

À l’occasion de la journée Ressources Plus « L’intelligence artificielle et les Ressources Humaines : rencontre du 3ème type ? », Happy to meet you a mené des interviews et sélectionné pour vous des témoignages d’experts RH, avocats et chercheurs pour approfondir ce sujet passionnant.

François GOUGEON, co-fondateur Happy to meet You et Vice-président de l’ANDRH Bretagne (2).

L’IA est-elle inévitable pour les entreprises et les Ressources Humaines ?

Il s’agit d’une évolution logique, comme l’a été le numérique, les entreprises doivent s’adapter à l’évolution de leur environnement, mais il faut appréhender la question de manière positive et y voir les opportunités de progrès.
Pour les RH, l’un des enjeux majeurs sera d’accompagner les salariés dans ces changements afin de garantir leur employabilité.

Quels impacts l’IA va-t-elle avoir sur l’emploi ?

Sur le plan économique je suis confiant. L’enjeu est d’accompagner le changement.
Les métiers d’analystes vont être impactés, dès lors qu’il y a une certaine récurrence de traitement des données : les banques, la comptabilité…C’est une opportunité d’évolution, une orientation vers plus d’expertise.
D’autres fonctions vont devoir s’adapter, par exemple, le domaine de la sécurité, grâce aux nouveaux systèmes de surveillance (drônes, reconnaissance faciale,…) ;
Certains postes en revanche auront vocation à disparaître mais de nouveaux métiers verront le jour, en donnant plus de valeur ajoutée à l’humain.
Selon une récente étude (1), 85% des métiers de 2030 n’existent pas encore aujourd’hui.

De quel œil voyez-vous l’IA dans le recrutement ?

C’est une vraie opportunité sur des tâches très chronophages et répétitives, comme le sourcing pour permettre au recruteur de se concentrer sur les personnes et les entretiens. Car en recrutement, le feeling et le savoir-être représentent une grande part. Mais à ce jour, les technologies ne sont pas encore au rendez-vous.
L’IA pourrait être un outil utile d’aide à la décision à l’embauche en permettant de dépasser les a priori des RH et servir de facilitateur grâce au recrutement prédictif.

Quelles limites voyez-vous à l’IA ?

La principale question que je me pose, est celle de l’éthique. Comment encadrer et légiférer les pratiques et potentielles déviances de l’IA, dans le domaine de la santé par exemple.  Si une machine a la capacité de prédire les raisons de votre décès, jusqu’où faut-il aller ?

Pour répondre à cette question, Vincent LHOSTE, membre du collectif NaonedIA (3) nous parle de l’initiative nantaise pour une IA éthique, responsable et solidaire à travers un manifeste écrit à plusieurs mains (chercheurs, académiques, entrepreneurs – grandes entreprises, ESN, startups – experts, collectivités,…).
Cette démarche alternative, impulse une dynamique autour de 8 engagements : transparence, décloisonnement, responsabilité/traçabilité, éthique, respect de la vie privée, gouvernance, culture scientifique et technique, coopération humain-machine.

D’un point de vue règlementaire, Manuella FAUVEL (4) – Avocate associée FIDAL – nous rappelle que les entreprises vont avoir un rôle à jouer dans l’accompagnement pour s’adapter à ces évolutions numériques. « Elles ont l’obligation d’assurer l’adaptation et le maintien dans l’emploi de leurs salariés, à travers notamment des formations prévues dans le cadre du plan de développement des compétences.
C’est une opportunité pour la GPEC (Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences) de mettre en phase des ressources et des compétences actuelles avec les besoins futurs.
En termes de bonnes pratiques RH, la loi du 27 janvier 2017 « Egalité et Citoyenneté » a aussi posé une nouvelle obligation dans les entreprises de plus de 300 salariés en imposant la formation des personnes en charge de recrutement sur la non-discrimination à l’embauche. »

Mais alors, l’Homme est-il le seul à intégrer des biais discriminants à son analyse, influençant ainsi ses décisions ?
La machine aussi comporte son lot de dérives, comme l’a illustré en 2016 le chatbot nommé « Tay », une intelligence artificielle conversationnelle développée par les équipes de Microsoft qui a tenu des propos haineux avant d’être mise hors-ligne.

D’après Emmanuel KEITA (5) – Dirigeant conseil en intelligence augmentée pour la décision chez SUNDITA « Contrairement aux Etats-Unis, la définition légale d’exploitation des données à caractère discriminant est encadrée en France (origine, appartenance religieuse…).
Pour exploiter l’IA, le bigdata n’est pas essentiel, il faut partir du besoin [ …] L’intelligence artificielle ne va pas nécessairement s’étendre à tous les métiers, pour certains, il n’y aura pas d’utilité, cela dépend des cas d’usage.
L’IA n’a pas vocation à dépasser l’homme, on en est au stade d’encoder la pensée d’un être humain, mais la difficulté reste le problème de modélisation, l’explicabilité du choix algorithmique de la machine en situation de décision […]»

Yann LE CUNFF (6) – Maître de conférence à l’Université de Rennes

Comment utilisez-vous l’IA ?

La structuration et la compilation de données alimentent nos études longitudinales (résultant du suivi d’une population dans le temps en fonction d’un événement de départ) utiles à nos travaux de recherches. Leur analyse et la détermination de liens de corrélation permettent de définir des algorithmes destinés à élaborer des statistiques prédictives. Par exemple, à partir des notes de L1-L2 d’étudiants, nous pouvons en déduire avec 97% de taux de fiabilité les résultats en L3. Les calculs de probabilité du taux d’insertion selon les filières, le taux de réussite, l’admissibilité des candidats, constituent des outils d’aide à la décision et non une substitution de celle-ci.

Selon vous quels sont les pré-requis liés à l’usage de l’IA ?

La déontologie, le respect de la protection des données et la pédagogie autour de l’usage de ces nouvelles technologies sont des préalables. La formation des étudiants, des enseignants et plus largement de toutes les professions impactées est indispensable pour donner du sens, aiguiser le sens critique et fournir les capacités d’interprétation des résultats à chaque partie prenante.

Quel est votre regard sur l’évolution de l’IA dans la société ?

Afin de favoriser les initiatives répondant à des problématiques métiers, il serait pertinent d’intégrer des modules de formation appliqués à de nombreux domaines. Aujourd’hui, la matière est trop souvent enseignée dans les filières mathématiques, scientifiques, informatiques et statistiques. Le développement de la transversalité permettrait l’appropriation large et citoyenne des enjeux de l’IA, de décloisonner les savoirs et de booster l’innovation.

(1) Rapport de Dell et «l’Institut pour le Futur» – 2017
(2) François GOUGEON – co-fondateur Happy to Meet You, société de conseil en recrutement – Vice-président de l’ANDRH Bretagne
(3) Vincent LHOSTE – Membre du collectif NaonedIA
(4) Manuella FAUVEL – Avocate associée – Directrice Régionale – Directrice adjointe du Département Droit social – FIDAL
(5) Emmanuel KEITA – Dirigeant conseil en intelligence augmentée pour la décision chez SUNDITA
(6) Yann LE CUNFF – Maître de conférence à l’Université de Rennes 1 -Chercheur pour le Minsitère de lʼEnseignement supérieur, de la Recherche et de lʼInnovation

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